Poésies et chansons " florales "

A. de Lamartine

Les pavots

 Lorsque vient le soir de la vie,

Le printemps attriste le cœur :

De sa corbeille épanouie

Il s'exhale un parfum moqueur.

De toutes ces fleurs qu'il étale,

Dont l'amour ouvre le pétale,

Dont les prés éblouissent l'œil,

Hélas ! il suffit que l'on cueille

De quoi parfumer d'une feuille

L'oreiller du lit d'un cercueil.

Cueillez-moi ce pavot sauvage

Qui croît à l'ombre de ces blés :

On dit qu'il en coule un breuvage

Qui ferme les yeux accablés.

J'ai trop veillé ; mon âme est lasse

De ces rêves qu'un rêve chasse.

Que me veux-tu, printemps vermeil ?

Loin de moi ces lis et ces roses !

Que faut-il aux paupières closes ?

La fleur qui garde le sommeil !

Paul Géraldy

Bonjour !

Comme un diable au fond de sa boîte,
le bourgeon s’est tenu caché…
mais dans sa prison trop étroite
il baille et voudrait respirer.

Il entend des chants, des bruits d’ailes,
il a soif de grand jour et d’air…
il voudrait savoir les nouvelles,
il fait craquer son corset vert.

Puis, d’un geste brusque, il déchire
son habit étroit et trop court
“enfin, se dit-il, je respire,
je vis, je suis libre… bonjour !”

Louise de Vilmorin

Millepertuis

Le temps a dissipé la blonde silhouette

de les châteaux de sable aux créneaux sans danger.

De ces châteaux d'enfant j'étais la girouette

Quand je ne savais pas que le temps peut changer.

Mais s'il peut te changer, me changer et me prendre

Ma jeunesse d'hier et notre heure aujourd'hui,

Il n'empêchera pas les saisons de nous rendre,

L'iris et l'anémone et le millepertuis.

La jonquille au printemps, l'automne en chrysanthème,

La rose de toujours, la tubéreuse blême,

La sauge en plein été, l'ellébore en hiver,

l'étoile clématite en la nuit qui se sauve,

La glycine de mai dont les larmes sont mauves

Et ce qui se défeuille et ce qui reste vert.


Jacques Prévert : Les feuilles mortes

Oh, je voudrais tant que tu te souviennes,
Des jours heureux quand nous étions amis,
Dans ce temps là, la vie était plus belle,
Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui.
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,
Tu vois je n'ai pas oublié.
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,
Les souvenirs et les regrets aussi,
Et le vent du nord les emporte,
Dans la nuit froide de l'oubli.
Tu vois, je n'ai pas oublié,
La chanson que tu me chantais...

C'est une chanson, qui nous ressemble,
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais.
Nous vivions, tous les deux ensemble,
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais.
Et la vie sépare ceux qui s'aiment,
Tout doucement, sans faire de bruit.
Et la mer efface sur le sable,

Les pas des amants désunis.

Nous vivions, tous les deux ensemble,
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais.
Et la vie sépare ceux qui s'aiment,
Tout doucement, sans faire de bruit.
Et la mer efface sur le sable,
Les pas des amants désunis...

Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,
Les souvenirs et les regrets aussi
Mais mon amour silencieux et fidèle
Sourit toujours et remercie la vie
Je t'aimais tant, tu étais si jolie,
Comment veux-tu que je t'oublie ?
En ce temps-là, la vie était plus belle
Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui
Tu étais ma plus douce amie
Mais je n'ai que faire des regrets
Et la chanson que tu chantais
Toujours, toujours je l'entendrai !


Edmond Rostand

Toutes les fleurs

Toutes les fleurs, certes, je les adore !

Les pâles lys aux saluts langoureux,

Les lys fluets dont le satin se dore,

Dans leurs calices d'ors poudreux !

Et les bleuets bleus,

dont l'azur décore

Les blés onduleux,

Et les liserons qu'entrouvre l'aurore

De ses doigts frileux.

Mais surtout, surtout je suis amoureux

Cependant que de folles gloses

S'emplissent les jardins heureux,

Des lilas lilas

Et des roses roses !

 

Toutes les fleurs, certes, je les adore !

Les cyclamens aux fragiles bouquets,

Les mimosas dont le buisson se dore,

Et les chers jasmins si coquets,

Et les doux genêts

Dont la brise odore,

Et les fins muguets,

Les muguets d'argent,

Si frais quand l'aurore

Mouille les bosquets.

Mais surtout, surtout je suis amoureux

Cependant que de folles gloses

S'emplissent les jardins heureux,

Des lilas lilas

Et des roses roses !

 

Toutes les fleurs, certes, je les adore !

Toutes les fleurs dont fleurit ta beauté,

Les clairs soucis dont la lumière dore

Tes cheveux aux blondeurs de thé,

L'iris velouté

Qui te prête encore

Sa gracilité,

Et l'œillet qui met ta joue et l'aurore 

En rivalité !

Mais surtout, surtout je suis amoureux

Dans tes chères lèvres décloses

Et dans les cernes de tes yeux,

Des lilas lilas

Et des roses roses !

 

Guillaume Apollinaire

Les colchiques

Le pré est vénéneux mais joli en automne

Les vaches y paissant

Lentement s'empoisonnent

Les colchiques couleur de cerne et de lilas

Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-là

Violâtres comme leur cerne et comme cet automne

Et ma vie pour tes yeux lentement s'empoisonne

Les enfants de l'école viennent avec fracas

Vêtus de hoquetons et jouant de l'harmonica

Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères

Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières

Qui battent comme les fleurs battent au vent dément

Le gardien du troupeau chante tout doucement

Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent

Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l'automne.

Théophile Gautier

Camélia et pâquerette

On admire les fleurs de serre

Qui loin de leur soleil natal,

Comme des joyaux mis sous verre,

Brillent sous un ciel de cristal.

Sans que les brises les effleurent

De leurs baisers mystérieux,

Elles naissent, vivent et meurent

Devant le regard curieux.

A l'abri de murs diaphanes,

De leur sein ouvrant le trésor,

Comme de belles courtisanes,

Elles se vendent à prix d'or.

La porcelaine de la Chine

Les reçoit par groupes coquets,

Ou quelque main gantée et fine

Au bal les balance en bouquets.

Mais souvent parmi l'herbe verte,

Fuyant les yeux, fuyant les doigts,

De silence et d'ombre couverte,

Une fleur vit au fond des bois.

Un papillon blanc qui voltige,

Un coup d'oeil au hasard jeté,

Vous fait surprendre sur sa tige

La fleur dans sa simplicité.

Belle de sa parure agreste

S'épanouissant au ciel bleu,

Et versant son parfum modeste

Pour la solitude et pour Dieu.

Sans toucher à son pur calice

Qu'agite un frisson de pudeur,

Vous respirez avec délice

Son âme dans sa fraîche odeur.

Et tulipes au port superbe,

Camélias si chers payés,

Pour la petite fleur sous l'herbe

En un instant, sont oubliés !


Pierre de Ronsard

Mignonne, allons voir si la rose

           Mignonne, allons voir si la rose
          Qui ce matin avoit desclose
          Sa robe de pourpre au Soleil,
          A point perdu ceste vesprée

 


Les plis de sa robe pourprée
Et son teint au vostre pareil.
Las ! Voyez comme un peu d'espace
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ses beautez laissé cheoir !
Ô vrayment marastre Nature,
Puis qu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !
Donc, si vous me croyez, mignonne,

Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez vostre jeunesse :
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté.